Cette année, LinkedIn a interrogé plus de 18 000
salariés dans 26 pays afin de découvrir les facteurs de satisfaction
professionnelle dans le monde. Parmi les découvertes importantes de cette
enquête, on apprend que l'équilibre
entre vie professionnelle et vie personnelle est le 2e critère
motivant un changement d'emploi (après la rémunération et les avantages
sociaux)[1].
Selon une autre enquête de mars 2013 menée par Accenture[2],
les technologies mobiles aident à atteindre cet équilibre, même si « les sentiments sont partagés quant à leur
impact sur leur vie personnelle ». 77% d'entre eux reconnaissent le
gain de flexibilité que représentent ces technologies, et 80 % les
considèrent comme essentielles à l'équilibre entre vie professionnelle et vie
personnelle. En revanche, 70 % des personnes interrogées admettent que ces technologies introduisent du travail
dans leur vie personnelle.
Nous voulons tous atteindre l'équilibre idéal entre travail
et vie privée / de famille, mais nous sommes également heureux que les
nouvelles technologies nous permettent de répondre rapidement aux e-mails et
nous finissons par nous plaindre de devoir gérer des emails tard le soir. Alors
on nous propose aujourd’hui de télécharger des applications de gestion de
l'équilibre vie professionnelle / vie personnelle[3],
c’est un cercle vicieux !
La question n'est donc pas de savoir si les nouvelles
technologies sont bonnes ou mauvaises, mais de trancher : les
utilisons-nous comme des outils puissants pour travailler et communiquer ou les
laissons-nous décider à notre place comment organiser notre vie ?
Les nouvelles technologies ne sont que des outils...
Ne tirons pas sur le messager ! La société Regus a
réalisé une étude sur l'équilibre vie professionnelle/vie personnelle, qui
révèle que « près d'un quart des
salariés utilisent leurs appareils mobiles pour travailler en dehors des heures
de bureau car c'est le comportement que leurs supérieurs attendent d'eux,
tandis que près d'un cinquième des employés le font car c'est que leurs clients
attendent d'eux »[4].
Rien de surprenant à ce que vous ayez du mal à dormir si vous lisez le soir un
e-mail de votre patron vous reprochant d'avoir commis une erreur. À moins d'une
urgence, demandez-vous s'il y a quoi que ce soit que vous puissiez faire sur le
moment pour réparer votre erreur, ou s'il ne vaut pas mieux que vous profitiez
de votre soirée et que vous vous concentriez sur votre travail le lendemain, après
avoir bénéficié d'une bonne nuit de sommeil.
Bien entendu, l'autre question est de savoir si votre patron
n'aurait pas pu attendre quelques heures avant de vous envoyer cet e-mail, ou
pour discuter avec vous en face à face...
De nos jours, il est difficilement envisageable de ne plus
utiliser les technologies mobiles. Comme l'a dit le théoricien des médias Neil
Postman en 1995, « toute nouvelle
technologie est un pacte faustien : elle nous donne quelque chose de
considérable mais nous prend également quelque chose d'important en retour »[5].
Avec les technologies mobiles, nous avons certainement gagné beaucoup en
flexibilité, en moyens de réseautage et en accès instantané, dès que nécessaire,
à l'information (en fonction de la vitesse du réseau...). Cependant, le prix à
payer est notre propre disponibilité instantanée, à la mesure de nos attentes
vis-à-vis des ressources ou de nos collaborateurs. Mais souvenons-nous
également qu'au siècle dernier, certains prédisaient que le téléphone n'avait
pas d'avenir, car les maîtres de maison comptaient fermement sur leurs
domestiques pour répondre à leur place ! Toute innovation de rupture a un
impact imprévisible sur notre comportement.
La flexibilité en matière d'heures et de lieu de travail est
la meilleure illustration des conséquences positives qu’offrent les nouvelles
technologies en matière de productivité, sans impact sur l'équilibre entre vie
professionnelle et vie personnelle. Chacun a pu s'en rendre compte : pour
accomplir une tâche spécifique nécessitant une concentration totale et de
l'abstraction de toute gêne (qu'il s'agisse de l’open space, des appels
téléphoniques ou de quoi que ce soit), il est bien pratique de pouvoir s’isoler
en toute tranquillité, à la maison ou à l'extérieur du bureau. Ce fait s'applique
aussi bien aux employés de bureau qu'aux ouvriers, munis de tablettes dans des
salles au sein de l'usine pour suivre une formation spécifique. Le cloud et les
outils de formation en situation de mobilité permettent à ces derniers de se
connecter à leur page d'apprentissage depuis une salle tranquille, loin des
bruits de l'usine. Ils peuvent également suivre leurs formations à des moments
d'improductivité typiques, tels que les files d'attente ou les trajets en
train.
Bien évidemment, tout dépend de la génération à laquelle on
appartient : la génération Y a grandi le pouce sur ses écrans mobiles, ce
qui lui a valu le surnom de « petite poucette » de la part du célèbre
sociologue français Michel Serres[6].
Celui-ci compare cette évolution à la Révolution Néolithique ou à l'invention
de l'imprimerie. C'est pourquoi les entreprises doivent être capables de
proposer des modes de travail extrêmement différents pour satisfaire autant les
baby-boomers proches de la retraite, que la génération du millénaire.
... mais la mobilité doit être contrôlée
Le philosophe autrichien Thomas Vašek a une vision très
tranchée lorsqu’il écrit que « séparer
travail et vie personnelle, c'est n’importe quoi ! »[7]
dans son ouvrage polémique « Work / Life Bullshit ». Selon lui, le
travail fait de nous ce que nous sommes. Un bon travail doit rendre les gens
autonomes et leur permettre de prendre des risques. Les nouvelles technologies doivent
ouvrir la voie vers de meilleures méthodes de travail. Ainsi on devrait
considérer le travail comme une part de notre vie réelle, et non pas comme
quelque chose à gérer en plus en dehors de la vraie vie, qui commencerait
lorsqu’on quitte le bureau.
C'est probablement ainsi qu’il faut voir les technologies
mobiles : ce sont des outils formidables plein d’avantages, permettant de mieux
travailler, sans pour autant devenir les esclaves de nos propres inventions. Le
défi est de parvenir à mélanger vie professionnelle et vie privée. Nous le
faisons de plus en plus avec nos appareils mobiles : peu de gens ont des
téléphones différents pour le travail et pour leurs contacts privés. Et bien
que Facebook et LinkedIn aient des utilités différentes, nous avons tout de
même des amis sur LinkedIn, et des collègues sur Facebook.
Nous devons être en mesure de définir ce qui est important
pour nous selon l'heure, le jour ou le moment de l'année. Il n'est assurément
pas nécessaire d'amener son téléphone à un dîner familial ou lorsque nous nous
faisons du sport le week-end. Cependant, il n'y a pas de culpabilité à
consulter ses e-mails le soir devant la télé, si l'on en a envie. Cela peut
nous aider à arriver au travail avec les idées claires le lendemain matin. Bien
entendu, n’oublions pas que nous avons tout simplement la liberté d'éteindre
nos appareils mobiles et ordinateurs, si l'on veut vraiment profiter de la
présence de nos proches.
Comme le dit Fiona O'Hara, directrice générale du capital
humain et de la diversité chez Accenture : « même si les nouvelles technologies doivent être gérées avec précaution,
elles peuvent améliorer notre vie professionnelle sur de très nombreux plans à
partir du moment où l'on érige les barrières adéquates. Les entreprises sachant
fournir les outils et instaurer une culture adaptée pour aider leurs salariés à
trouver cet équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle en tireront
les bénéfices en terme d'attractivité et de fidélité de leurs meilleurs
employés »[8].
Geoffroy de Lestrange